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Kitarô NISHIDA

LE LIEU

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Traduction : 
Reiko KOBAYASHI

Dans la théorie de la connaissance contemporaine, on distingue trois éléments : l'objet, le contenu, et l'acte et on analyse leur corrélation. Le fondement de cette distinction n'est rien d'autre que l'opposition de l'acte de connaissance temporaire et de l'objet qui le transcende. 
Mais pour qu'un objet soit en corrélation avec un autre et forme un système qui préserve leur identité, il faut encore penser un autre élément qui puisse maintenir ce système en lui-même, tout à la fois le constituer et le comprendre en lui. 
"Ce qui est" doit être dans quelque chose. Sans quoi, il n'y aura aucun moyen de faire la distinction entre le fait d'être et de ne pas être. De même que l'on fait une différence logique entre les termes de la relation et la relation elle-même, de même on doit la faire entre ce qui réunit dans une relation (le médiateur) et ce en quoi elle se situe (le lieu). 
Du point de vue de l'acte, on peut considérer l'ego comme l'unité des actes purs. Dans la mesure où l'ego représente l'opposé du non-ego, il faut un milieu qui comprenne cette opposition (209) et qui, de l'intérieur, puisse constituer les phénomènes de conscience. Nous désignerons désormais cet élément qui reçoit l'Idea par le nom de lieu, en empruntant le concept à Platon, tel qu'il l'emploie dans le Timée. 
Bien sûr, cela ne signifie pas que la portée de ce terme « lieu » soit identique à « Chora », tel que Platon le comprend comme emplacement ou réceptacle.

La pensée de quelque chose présuppose un lieu où il se réfléchit. Nous pouvons le penser d'abord comme le champ de conscience. Pour avoir une conscience de quelque chose, il faut le réfléchir dans le champ de conscience. Mais les phénomènes de conscience qui sont réfléchis doivent être distingués du champ de conscience où ils se réfléchissent. 
Pourrait-on dire qu'il n'y a pas de champ de conscience sinon la succession même des phénomènes de conscience ?

L'acte comme la relation de l'objet et du lieu
Si nous considérons le lieu comme nous l'avons montré plus haut, l'acte est considéré comme un rapport qui émerge entre l'objet et le lieu où il se réfléchit. Lorsqu'on considère seulement ce qui se réfléchit, ce n'est qu'un objet quelconque sans action. Pourtant il faut présupposer derrière ce genre d'objet, un miroir qui le réfléchit, autrement dit le lieu où l'objet se situe. Evidemment, si ce lieu n'est qu'un simple miroir qui réfléchit et si l'objet ne fait que s'y trouver, nous ne voyons pas l'objet en acte. C'est pourquoi, tout peut être considéré comme simple objet de connaissance, qui transcende totalement les actes dans le champ de conscience en général, lui-même ayant pour fonction de tout  réfléchir en s'anéantissant totalement. 
Mais s'il n'y a aucun rapport entre la conscience et l'objet, on ne peut pas dire que le lieu les réfléchit ; il est même impossible de dire qu'ils sont dans le lieu.
Quand on pense, avec le sens commun, que le corps est dans l'espace, le corps -étant différent de l'espace- peut entrer dans l'espace selon différents rapports. Il change de forme et de position différemment. 

Ici, nous ne pouvons pas ne pas supposer une force qui soit autre que le corps et l'espace.

L'objet sans opposition et le lieu du néant
En admettant que connaître signifie se réfléchir à l'intérieur de soi  et que l'acte peut être considéré comme le rapport de ce qui se réfléchit avec le lieu où il se réfléchit, on pourra alors se demander ce que c'est qu'un objet sans opposition qui transcende totalement l'acte, dont parle Lask. Un tel être doit être quelque part. 
Quand nous reconnaissons ce qui est,  nous le reconnaissons en l'opposant à ce qui n'est pas. Toutefois, ce qui est reconnu comme néant par rapport à l'être est un néant oppositionnel. Le véritable néant doit être ce qui comprend l'être et le néant ; il doit être le lieu dans lequel l'être et le néant se constituent. Ce qui nie l'être et s'oppose à lui n'est pas le vrai néant ; le vrai néant doit être ce qui constitue l'arrière-plan de l'être.
 

L'intuition et le lieu
Quand je dis que je reconnais ou bien le champ de conscience ou bien le lieu derrière l'intuition, je risque de recevoir beaucoup d'objections. 
Mais si l'intuition ne signifie que ce qui n'a ni sujet ni objet, elle n'est qu'un objet. Elle distingue « ce qui connaît » et « ce qui est connu » et, en même temps, elle les réunifie. 
Connaître ne signifie ni construire, ni agir,  mais « ce qui connaît » doit être ce qui comprend le connu, ou plutôt ce qui le réfléchit de l'intérieur. L'unité du sujet et de l'objet, ou le fait de ne plus trouver ni sujet ni objet, signifie seulement que le lieu devient le vrai néant et qu'il devient un simple miroir qui réfléchit. 

 

La nécessité de l'idée de lieu pour expliquer la relation.
 

Quoique cette manière de penser puisse apparaître naïve, nous posons que les corps existent dans l'espace et qu'ils interagissent entre eux ; c'est un point qui passait pour établi dans la physique classique. Autrement dit, sans corps, il n'y a pas d'espace et l'espace n'est rien d'autre que le rapport d' un corps avec les autres corps. En outre, on pourrait considérer comme Lotze que l'espace existe par le corps.
C'est ainsi que l'on voit que le rapport lui-même et ce qui crée le rapport doivent être identiques. Cela se passe comme pour l'espace physique. Pourtant, ce qui met en rapport un espace physique avec un autre espace ne saurait être lui-même un simple espace physique et c'est pourquoi il faut présupposer un nouveau lieu qui permettent de les situer.
On objecterait peut-être que ce qui s'établit pour un rapport est déduit du système entier des rapports. C'est ce qui explique que l'on pense qu'il n'y a qu'un être parfait qui puisse s'établir par lui-même et qu'il n'est donc pas nécessaire de penser le lieu où il se situe.
Pourtant, à strictement parler, pour qu'un rapport existe en tant que tel, il faut qu'il y ait des données présentes comme étant les termes du rapport. C'est ainsi, par exemple, qu'il nous faut poser un contenu de connaissance pour pouvoir en poser aussi la forme.

Même si l'on suppose qu'ils forment ensemble une unité complète, il faut bien que l'on pose un lieu où celle-ci va se réfléchir. Dira-t-on que ce n'est qu'un concept subjectif ? Si l'objet se tient au-delà de l'acte subjectif et le transcende, alors le lieu où se situe l' objet objectif ne peut pas être lui-même quelque chose de subjectif, car il est aussi au-delà. Il est clair, par conséquent, que ce lieu aussi doit être transcendant.
(...)
DOGEN
LE MIROIR ANCIEN

Traduction : 
Makoto Asari & Daniel Le Bigot
cf. Texte en ligne

(...)
Pendant l'assemblée du maître zen Nangokudaiso un moine lui demanda :
"Si le miroir se fait image , où la clarté peut-elle se rendre ?
Le maître : cher ami, la tête que vous aviez avant de prendre la voie, où s'est-elle donc rendue ?
Le moine : Alors après, pourquoi le disque ne s'éclaire-t-il pas ?
Le maître : Simplement le disque n'éclaire pas, et ne saurait trahir le moindre point. 
Maintenant si l'on poursuit la recherche, c'est pour toute image avant même d'en considérer l'objet, que l'on peut vérifier que le miroir se fait dans l'expression du maître.
 

Certes, le miroir n'est pas en or, pas en pierre précieuse, pas en clarté, pas en image, mais dès l'instant que le miroir se façonne, c'est là précisément qu'on est renvoyé au questionnement sur le miroir.
« Où la clarté peut-elle se rendre ? » revient à saisir l'expression : « si le miroir se fait image » comme l'image se façonne au miroir. En d'autres termes, là où l'image se rend, c'est le lieu de l'image et pouvoir façonner c'est le miroir du façonnement.
« La tête que vous aviez avant de prendre la voie, où s'est-elle donc rendue ? ». Cette expression signifie que c'est en élevant le miroir que le visage s'éclaire. A cet instant, tous les visages sont-ils autre chose que le visage de soi ?
Le maître dit : « Simplement le disque n'éclaire pas, impossible qu'il trahisse même un point »
Cette expression signifie que la clarté du disque est impossible et que trahir l'autre est impossible.
Il faut savoir que même si l'on épuise l'océan, le fond n'apparaît pas, et ne pas se briser : ne pas s'affoler. Mais il faut encore aller plus loin et comprendre la raison de l'image pétrie au miroir du façonnement. Le temps d'être tel, dans la démultiplication des lumières du disque, rend trahison sur trahison et point sur point.

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